Le temple et l'allée de sphinx

Louxor est aujourd'hui une petite ville de 60 000 habitants, située sur la rive droite du Nil, à l'emplacement de Thèbes, l'antique cité qu'Homère avait baptisée "Thèbes aux cent portes."

Louxor vient de l'arabe el-Qsor, pluriel de el-Qasr qui signifie "campement, fortification" ce qui rappelle que deux camps militaires avaient été construits là à l'époque romaine. Thèbes, pour les Anciens, se trouvait entre les sites actuels de Louxor et de Karnak. Promue capitale du Nouvel Empire quand le pouvoir égyptien s'étendait de l'Euphrate à la haute Nubie, cette grande ville (elle a compté jusqu'à un million d'habitants) était le siège du culte d'Amon, avec en particulier le grand temple de Karnak. Une fois par an, à l'occasion de la Fête d'Opet (la "Fête du harem") que l'on célébrait le deuxième ou troisième mois de la saison de l'Inondation, la barque sacrée du dieu était portée en grande pompe du temple de Karnak à celui de Louxor, appelé IpetResyt, c'est-à-dire le "Harem méridional d'Amon".

Long de 260 mètres, le temple de Louxor a été construit par Aménophis III sur un ancien monument religieux de l'époque d'Hatchepsout; la souveraine avait également fait bâtir six reposoirs pour la barque d'Amon, le long du premier dromos de la XVIIIe dynastie, la voie sacrée qui reliait le temple de Louxor à Karnak. Du temps d'Hatchepsout, la procession se déroulait en effet sur terre et parcourait l'allée entre les deux lieux cultuels; par contre, à partir de la fin de la XVIIIe dynastie, les simulacres des barques sacrées d'Amon, de Mout et de Khonsou empruntaient le Nil pour se rendre à Louxor. Dans le cadre des fêtes d'Opet, Amon de Karnak allait rendre visite à Amon de Louxor, Amon-em-Ipet, c'est-à-dire " Amon dans son harem ", et i1 le régénérait.

Le temple de Louxor possédait primitivement un grand portique de 14 colonnes papyriformes de 19 mètres de haut et presque 10 de circonférence, délimité à l'est et à ouest par des murs tapissés de bas-reliefs illustrant ces festivités. La colonnade a été achevée et décorée sous Toutânkhamon (1334-1325 av. J.-C.); elle donne accès à une cour magnifique, entourée d'un péristyle à deux rangs de piliers, avec au sud la salle hypostyle. De là, on pénétrait dans le temple, composé de quatre antichambres, de plusieurs pièces annexes et du sanctuaire de la barque divine, où le reposoir a été reconstruit par Alexandre le Grand. Le monument a ensuite été agrandi par Ramsès Il, qui lui donna son aspect définitif en faisant construire le premier pylône, dont les reliefs illustrent la célèbre bataille de Qadech, en Syrie (1274 av. J.-C.), la première cour et, au coeur de l'ensemble, un triple sanctuaire pour les barques d'Amon, de Mout et de Khonsou, les membres de la triade thébaine. Avec ses 74 colonne papyriformes, disposées en deux rangées, et ses 16 statues pharaoniques, la cour de Ramsès II est délimitée au nord par une chapelle à trois chambres consacrées à la triade thébaine (Amon, Mout et Khonsou), et à l'est, par une église byzantine du VIe siècle sur laquelle les sultans ayyoubides (XIIIe siècle) ont édifié la mosquée d'Abois el-Haggag, encore ouverte aux fidèles. Le pharaon fit aussi dresser les deux obélisques qui étaient devant le pylône (un mot qui vient du grec pulôn, "grande porte") et que le pacha d'Égypte Méhémet-Ali offrit à la France en 1819). Celui qui se trouvait à l'ouest mesurait plus de 22 mètres de haut pour 220 tonnes et a été transporté à Paris en 1836 et installé sur la place de la Concorde, où il se trouve toujours, tandis que le second est resté sur place, la France n'y ayant définitivement renoncé qu'en 1980. Le temple vu d'en haut

La fonction de ce monument était complexe: tous les ans, au moment de la Fête d'Opet, le jubilé royal, on célébrait dans les pièces les plus secrètes la naissance divine du pharaon, fils d'Amon, afin de réaffirmer son pouvoir. Dans la pénombre de la chambre de la naissance, le dieu suprême, qui pour l'occasion prenait les traits de l'époux terrestre de la reine, rencontrait cette dernière, à qui Thot, la divinité à tête d'ibis, annonçait sa maternité. Amon ordonnait alors à Khnoum, le "potier divin", de modeler sur son tour l'enfant à naître et son ka, c'est-à-dire son "double" qui allait représenter son essence céleste et immortelle. Assistée par Hathor, Isis et Nephthys, la reine mettait alors au monde un fils divin, reconnu par son père, le roi des dieux. Le fils, Pharaon, offrait de l'encens et des fleurs fraîches à son géniteur céleste qui, en échange, lui conférait sa nature divine, la jeunesse et des promesses de longue vie : il était ensuite proclamé souverain légitime du Double Pays.

Ainsi régénéré et confirmé dans sa fonction royale, il pouvait, pendant toute une année, assurer la prospérité de son peuple. Le temple de Louxor était aussi le lieu du culte du ka royal, le principe supraterrestre et immortel du monarque, symbole de la légitimité de son pouvoir. Il conserva cette fonction universelle, et non pas liée individuellement aux différents pharaons, pendant plus de dix-sept siècles ; voilà pourquoi Alexandre, qui, pour occuper légitimement le trône d'Égypte, avait besoin de la reconnaissance du dieu, fit reconstruire le reposoir de la barque sacrée. D'après la cosmogonie thébaine, une adaptation locale de la théorie héliopolitaine, le temple de Louxor était également le lieu d'origine de l'Ogdoade, c'est-à-dire des huit divinités primitives qui, engendrées par le démiurge "Créateur de la Terre", le serpent Irta, appelé également Kématef, ont créé le monde.

D'après la tradition, une fois leur mission achevée, Kématef et les huit divinités de l'Ogdoade ont été ensevelis dans leur tombe mythique de Médinet-Habou où, au Nouvel Empire, Amon de Louxor leur rendait visite tous les dix jours, pour la " Fête de la Décade". À l'époque de Ramsès II, la procession ne passait pas par la grande entrée de la première cour de Karnak, mais par la porte occidentale, qui donne sur le Nil, alors que celle qui se trouve à l'est était réservée au peuple. L'accès principal au temple était utilisé pour d'autres fêtes annuelles, celles d'Amon-Min-Kamoutef, célébrées pour Amon-Min, dieu de la fertilité.

Sous Nectanébo 1er (380-362 av. J.-C.), des centaines de sphinx androcéphales, dont on peut voir encore quelques exemplaires sur place, ont été alignées en bordure du dromos reliant Louxor à Karnak. À l'époque romaine, notamment sous Dioclétien (vers 300 apr. J.C.), la partie méridionale du temple fut destinée au culte impérial et tout l'édifice se trouva englobé dans le castrum de la garnison romaine de Louxor. En 1885, le Français Gaston Maspero, alors conservateur du Service des antiquités d'Égypte, entreprit les fouilles et le déblaiement du site dont les deux tiers étaient recouverts de sable et où les habitants du village de Louxor avaient élu domicile ; il donna ainsi son aspect actuel à ce grand monument qui, grâce à la pureté de son architecture et à l'élégance de ses colonnes, reste un des témoignages artistiques les plus fascinants du Nouvel Empire. C'est ici que, en 1990, des spécialistes firent une des plus grandes découvertes de ces dernières années : au cours de tests sur la stabilité des colonnes de la cour d'Aménophis III, ils repérèrent une "cachette" qui renfermait de magnifiques statues ; la plus belle d'entre elles, en quartzite rose, représente le pharaon lui-même et constitue aujourd'hui l'oeuvre la plus célèbre du musée de Louxor.

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